Yves Marchand et Romain Meffre, « De cette architecture qui fait les belles ruines »

Rédigé par Olivier NAMIAS
Publié le 01/01/2007

Yves Marchand et Romain Meffre

Article paru dans d'A n°160

Ces deux « explorateurs urbains Â» traquent les espaces abandonnés dans les aires industrielles ou dans les parcs des châteaux, réactualisant une « esthétique de la ruine Â» autrefois chère aux architectes. Yves Marchand et Romain Meffre sont deux jeunes photographes formés à l'école de l'urbex ou exploration urbaine. Ce mouvement structuré par l'Internet1 regroupe une communauté investissant les anfractuosités et les espaces vides de la ville : les intérêts varient en fonction des différents protagonistes et peuvent aller des carrières aux galeries techniques, en passant par les usines abandonnées.

Dans ces cercles, le rôle de la photographie est multiple : l'image sert à la fois de souvenir, de preuve – d'intrusion dans des lieux dont l'accès est réduit ou interdit – et enfin de document pur, sorte de recensement héroïque à la façon de la mission héliographique ou version empirique des campagnes photographiques du service de l'Inventaire des monuments historiques. L'aspect patrimonial prend ici une dimension plus ludique que scientifique : « Au départ, on prenait les bâtiments abandonnés comme un immense terrain de jeux, et nous nous rendions d'abord dans les bâtiments proches de chez nous Â», confient Yves Marchand et Romain Meffre. Le stock venant rapidement à s'amenuiser, ils étendent leurs investigations à l'ensemble de la Région parisienne : « l'île Seguin, le sanatorium d'Aincourt, mais aussi les châteaux abandonnés qui sont plus nombreux qu'on ne le pense en ÃŽle-de-France ». Au fur et à mesure des visites se dégage un projet photographique cohérent : « Nous trouvions que les photographies publiées sur les sites Internet dédiés à l'exploration urbaine faisaient trop catalogues : une pléthore de points de vue qui n'informaient pas forcément sur le bâtiment ; nous avons commencé à être beaucoup plus sélectifs, pour ne retenir que les images représentatives de l'ambiance du lieu. Â» Ils optent pour la photographie couleur, se reconnaissent des influences chez Robert Polidori mais aussi chez les Becher, « pour le côté inventaire et la révélation d'une beauté industrielle Â» bien que, à l'inverse du couple allemand, Marchand et Meffre montrent des intérieurs et n'utilisent pas que le noir et blanc.
Ces ruines, qui semblent immuables et intemporelles sur les photographies, ne sont qu'un état transitoire dans l'histoire d'un bâtiment : une phase que le boom de l'immobilier tend à raccourcir de plus en plus. Alors qu'ils sont engagés dans leur travail, ils voient disparaître nombre de bâtiments photographiés, happés par la spéculation (Seguin, les Grands Moulins de Pantin) ou le traitement réservé aux lieux portant la « souffrance du travail Â» (les usines sidérurgiques), détruits en France alors qu'en Allemagne ces sites sont promis à un avenir touristique radieux. « Il reste quelques sites magnifiques, mais pour combien de temps ? Seule une forte pollution préserve de la destruction la papeterie Darblay, créée au XIXe siècle à Corbeil. » Devant la raréfaction de leur matière première, ils élargissent leur cercle à la province et à l'étranger : la Wallonie, l'Italie et les États-Unis, « une terre de bâtiments industriels ». Ils réalisent actuellement un reportage sur le centre historique de Detroit, ancienne capitale de l'industrie automobile, vidée de plus de la moitié de ses habitants par la crise économique et l'étalement urbain.

Éloge de la ruine

La quête photographique du patrimoine n'est pas sans ambiguïté. Si Yves Marchand et Romain Meffre se félicitent de la sauvegarde des bâtiments qu'ils parcourent, ils admettent également qu'une fois réhabilités, les édifices perdent tout leur intérêt photographique. Le patrimoine abandonné sert surtout de prétexte à l'éloge de la ruine et à l'édification de celle-ci en objet esthétique, suivant la tradition picturale incarnée au XVIIIe siècle par Hubert Robert. Dans sa peinture, la ruine anticipait un futur de l'architecture, rappelait un âge d'or, suggérait des reconstitutions. Aux XXe et XXIe siècles, les continuateurs d'Hubert Robert ont troqué les pinceaux pour l'appareil photographique et la Rome antique pour des sites moins agrestes : Prypiat, ville abandonnée près de Tchernobyl (Robert Polidori), les égouts de Tokyo (Naoya Hatakeyama) ou de New York (Stanley Greenberg), pour ne citer que quelques exemples. Comme chez Yves Marchand et Romain Meffre, leur travail est une constante exposition de la ruine, un retour vers la ruine comme lieu des possibles. Une interrogation paradoxale du lieu aussi redondante chez les photographes qu'elle semble étrangère aux architectes d'aujourd'hui. À croire qu'au XXIe siècle, l'architecture ne vieillit jamais et qu'évoquer l'éventualité de sa décrépitude équivaut à enfreindre un nouveau tabou.

< www.marchandmeffre.com >

Les articles récents dans Photographes

Sandrine Marc : la ville, le livre, le laboratoire Publié le 29/04/2024

Délicate et profonde, l’œuvre de Sandrine Marc couvre tout le processus photographique, de lâ€â€¦ [...]

Abelardo Morell - Écrire avec la lumière Publié le 01/04/2024

En 2001, le peintre anglais David Hockney publiait un ouvrage consacré à l’usage des appareils … [...]

Bertrand Stofleth, Géraldine Millo : le port de Gennevilliers, deux points de vue Publié le 11/03/2024

Le CAUE 92 de Nanterre accueille jusqu’au 16 mars 2024 une exposition intitulée «&nbs… [...]

Yves Marchand et Romain Meffre Les ruines de l’utopie Publié le 14/12/2023

L’école d’architecture de Nanterre, conçue en 1970 par Jacques Kalisz et Roger Salem, abandonn… [...]

Aglaia Konrad, des images agissantes Publié le 20/11/2023

Aglaia Konrad, née en 1960 à Salzbourg, est une photographe qui se consacre entièrement à l’ar… [...]

Maxime Delvaux, une posture rafraichissante Publié le 11/10/2023

Maxime Delvaux est un jeune photographe belge, adoubé par des architectes tels que Christian Kerez,… [...]

.

Réagissez à l’article en remplissant le champ ci-dessous :

Vous n'êtes pas identifié.
SE CONNECTER S'INSCRIRE
.

> L'Agenda

Mai 2024
 LunMarMerJeuVenSamDim
18  01 02 03 04 05
1906 07 08 09 10 11 12
2013 14 15 16 17 18 19
2120 21 22 23 24 25 26
2227 28 29 30 31   

> Questions pro

« En décidant de ne pas tout transformer, tout change » - Entretien avec Alexandre Chemetoff

Réutiliser, transformer, restructurer, revaloriser… autant d’actions souvent recommandées quand les enjeux de l’époque incitent à retravai…

Vous avez aimé Chorus? Vous adorerez la facture électronique!

Depuis quelques années, les architectes qui interviennent sur des marchés publics doivent envoyer leurs factures en PDF sur la plateforme Chorus, …

Quelle importance accorder au programme ? [suite]

C’est avec deux architectes aux pratiques forts différentes, Laurent Beaudouin et Marie-José Barthélémy, que nous poursuivons notre enquête sur…