La Méca, Bordeaux Tout est dit

Architecte : BIG, Freaks
Rédigé par Emmanuel CAILLE
Publié le 05/09/2019

Entre la gare et la Garonne dans le quartier Saint-Jean-Belcier, la Maison de l’économie créative et culturelle en Nouvelle-Aquitaine, la plus ambitieuse institution culturelle de la Région, a été inaugurée en juin. Premier projet livré en France par BIG, c’est le fruit d’un processus de conception implacable dans lequel Bjarke Ingels est passé maître, lorsque l’architecture rend explicite la démarche qui la génère. Comme si l’architecte voulait nous montrer comment aligner les six faces du Rubik’s Cube de la commande : une face pour le programme, les autres pour le budget, les flux, le contexte, le climat et l’image ; la démonstration est brillante ; mais est-ce ce que nous attendions ?

La Méca est un hybride regroupant pour la première fois trois institutions différentes que la Région Nouvelle-Aquitaine a voulu rassembler en espérant créer des synergies : l’Agence livre cinéma & audiovisuel (ALCA), le Fonds régional d’art contemporain (FRAC) et l’Office artistique (OARA). Ce projet culturel se veut, en plein Bordeaux, une réponse de la Région à l’impitoyable rayonnement artistique de la ville d’Alain Juppé qui, depuis trente ans, le nargue avec son CAPC, arc en rêve, ses biennales d’art et d’architecture (AGORA) ou son MADD. L’omniprésence, lors de l’inauguration et sur l’ensemble des kits de communication distribués à la presse à cette occasion, de son président Alain Rousset témoignait bien que l’indéboulonnable socialiste (68 ans) espérait bien tenir là sa revanche médiatique. Pour cette mission, il a fait appel au king of pop de l’architecture, à l’Attila des concours internationaux : Bjarke Ingels lui-même. Associé à l’agence parisienne Freaks freearchitects et à l’agence bordelaise Lafourcade & Rouquette (phase chantier), le bouillonnant architecte danois a parfaitement rempli sa tâche. En bon héritier de Rem Koolhaas, il parvient à générer la forme du bâtiment à partir du programme, la déformant ensuite pour s’adapter au contexte urbain et aux différents flux qui devront l’animer. La démonstration de la pertinence du processus de création est redoutablement efficace, à l’image de ces dessins animés faits d’une suite de schémas simplifiés montrant les différentes étapes de conception et que Bjarke Ingels a popularisé dans toutes les écoles d’architecture du monde. Les contraintes du projet se résolvent ici en une boucle dégageant en son cœur une monumentale chambre urbaine accessible depuis deux longues rampes opposées. Elle est à la fois une fenêtre ouverte sur la Garonne et, depuis l’autre rive, un kaléidoscope pointé sur les activités de la ville. Côté sud-ouest, une grande baie vitrée avec un immense miroir à 45 degrés crée un périscope dévoilant en contre-plongée le foyer situé sous cet espace public, lui-même visible par symétrie. Traversant le socle de part en part, ce grand hall est le lieu de rencontre des multiples activités de la Méca avec son restaurant et son petit amphithéâtre. Le pilier de l’arche côté gare, au nord-ouest, abrite les bureaux et la cage de scène de l’OARA qui, malgré ses 260 sièges rétractables, est avant tout une salle de répétition grandeur nature. Le pont reliant l’autre arche abrite le FRAC dont les réserves sont situées dans l’épaisseur des poutres de franchissement. Achevant la boucle, la pile sud-ouest accueille l’ALCA : son administration, ses bureaux de production, ses loges de casting et sa salle de projection.

Rubik’s Cube
Si la fenêtre urbaine s’inscrit dans une relation perpendiculaire à la Garonne, une habile torsion géométrique en plan crée une relation traversant l’arche latéralement : en tirant une même droite depuis la façade sud de la pile ouest jusqu’à la façade nord de la pile est, les deux rampes d’accès à la place urbaine haute s’alignent en une même direction.
L’ensemble du bâtiment est recouvert de plaques de béton reproduisant avantageusement la pierre bordelaise. L’uniformité de cette peau cache la complexité de la structure et on sent que la précision des arêtes de l’origami a dû être le fruit d’un difficile travail de mise au point en étude et sur le chantier, mais il n’est pas sûr qu’elles résistent au temps. Cette homogénéité et le dessin abstrait des fenêtres s’insérant dans la trame de calepinage des plaques contribuent à brouiller l’échelle de la Méca, lui conférant la dimension monumentale attendue. À l’inverse, à l’intérieur, la structure métallique est apparente, la sobriété et l’économie règnent. Comme pour de plus en plus de projets aujourd’hui, il faut y voir la volonté d’échapper à la tyrannie contemporaine des aléas du second œuvre : ses malfaçons et son inévitable obsolescence.

Bjarke Ingels réussit à Bordeaux un sans-faute ; sa réponse synthétise parfaitement tous les enjeux urbains, programmatiques et politiques. Sa démonstration est aboutie, mais comme lorsque tous les côtés du Rubik’s Cube sont enfin ordonnés, après la satisfaction, l’ennui guette. Et l’on pense aux mots de Doris Lessing dans sa préface à la réédition de son roman Le Carnet d’or : « … le livre n’est vivant, puissant, fructifiant, susceptible de provoquer la discussion que quand son plan, sa forme et ses intentions échappent au lecteur, car l’instant où l’on perçoit le plan, la forme et les intentions, est aussi celui où il ne reste plus rien à retirer d’un livre. […] alors peut-être le moment est-il venu de laisser ce livre de côté, puisqu’il a fait son temps, et de se lancer dans quelque chose de neuf(1). »

(1) Doris Lessing, préface à la réédition de 1971 de Le Carnet d’or, 1962.



Maîtrise d’ouvrage : Région Nouvelle-Aquitaine
Maîtrise d’œuvre : Bjarke Ingels Group (mandataire) associé à Freaks freearchitects et Lafourcade & Rouquette (chantier)
BET : structure, Khephren ; façades, Lüchinger+Meyer ; scénographie, dUCKS ; lumière, Ph.A & A.
Surface : 18 000 m2
Coût : 42 millions d’euros
Calendrier : concours : 2012, livraison : 2019

La Méca se dresse à l’entrée de Bordeaux, en aval de la Garonne.<br/> Crédit photo : Ghinitoiu Laurian La Méca<br/> Crédit photo : Ghinitoiu Laurian La Méca<br/> Crédit photo : Ghinitoiu Laurian

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