Architecte : OMA, Rem Koolhaas & Ellen van Loon Rédigé par Richard SCOFFIER Publié le 18/10/2017 |
Après la consultation en 2012 qui avait opposé OMA – Rem Koolhaas et Clément Blanchet – à Barani, Perrault, Cruz y Ortiz et Feichtinger (voir d’a n° 212), l’École centrale a ouvert ses portes début septembre. Le projet réalisé, qui semble a priori très différent de celui du concours, en découle pourtant…
Les étudiants de CentraleSupélec sont donc rentrés dans leur nouvelle école, installée dans le quartier du Moulon sur le plateau de Saclay, une bande urbaine dense conçue par Michel Desvigne et XDGA, entourée d’un côté par la forêt descendant dans la vallée de l’Yvette, de l’autre, par des champs. Un campus décomposé en deux parties autour la rue Joliot-Curie : au sud le bâtiment principal dessiné par OMA, que nous allons analyser, et au nord celui réalisé en PPP par l’agence suisse Gigon/Guyer, contenant les annexes.
On se souviendra des images claires et blanches qui avaient permis à l’agence hollandaise de remporter la compétition. Des blocs de 28 par 40 mètres poursuivant la trame urbaine extérieure et correspondant aux différentes unités de recherche, placées, comme dans une couveuse, dans une vaste salle hypostyle tendue de bâches gonflables et transparentes. Une structure qui portait un espace servant composé par les grandes salles assurant la formation initiale. Cette vaste serre isolant l’école dans un environnement bien tempéré renvoyait, tout en utilisant une écriture très différente, à la bulle préconisée par Richard Buckminster Fuller pour protéger le centre de Manhattan.
Les choses vous sembleront bien différentes lorsque vous vous rendrez sur le site de Saclay. Vous ne retrouverez pas les hauts portiques blancs et leurs membranes transparentes. À leur place, de lourds volumes de béton noirs et lisses comme du métal, cerclés de bandeaux, rappelleront des alignements de containers géants. Mais lorsque vous pénétrerez dans cette masse sombre et vénéneuse en suivant la diagonale – qui réorganise l’ensemble du quartier et traverse le bâtiment de part en part pour le connecter à la future station de métro –, la sensation de fermeture, de rejet du contexte, s’estompera au fil de votre progression. Elle disparaîtra bientôt totalement pour laisser la place à une sensation inverse et presque vertigineuse de clarté et d’ouverture, comme si vous étiez soumis à une sorte d’ivresse des profondeurs.
Mais comment est-on passé du projet blanc et transparent de 2012 au projet noir et opaque de 2017 ? D’un projet centrifuge à un projet centripète ? Sans doute la passation de pouvoir au sein de OMA entre Clément Blanchet et Ellen van Loon y est-elle pour quelque chose. Mais nous préférerons considérer le projet actuel comme un retour aux sources du précédent. Comme une réflexion plus poussée sur la capacité du plan – ici une grille biffée par une oblique – à produire de la coupe, et sur les conséquences logiques de l’instauration d’une enveloppe protectrice séparant l’école de son contexte.
La grille
En sus de la trame, le premier projet développait une idée secondaire, celle d’un espace placentaire suspendu à la structure et correspondant aux salles de cours magistraux. Une image récurrente qui hante les films de science-fiction depuis le Metropolis de Fritz Lang, où la ville du dessus s’oppose à la ville du dessous. Une idée intéressante, mais une idée de trop, qui venait s’ajouter au concept de trame génératrice, sans en découler nécessairement. Ces salles, redescendues au sol, ont ainsi été redistribuées dans le plan hippodamien. Tandis qu’aux angles sud-ouest et nord-est, là où pénètre la diagonale, deux masses carrées – regroupant plusieurs blocs et correspondant aux équipements mutualisés et à l’administration – se hissent au-dessus de la verrière autour de leurs cours couvertes. Elles sont directement issues de la trame active et en déterminent les pôles d’intensités maximales qui correspondent aux deux entrées principales. À l’opposé, les laboratoires, dont les accès sont rigoureusement contrôlés, situés dans l’angle nord-est, se développent en descendant dans les profondeurs de la terre. Ils s’étendent en sous-sol tout en étant desservis et éclairés par une allée recouverte de pavés de verre et glissée sous la venelle du rez-de-chaussée.
Quant aux unités de recherche banalisées, elles s’organisent autour de leur colonne de ventilation, qui sort en toiture, comme le foyer de l’habitat traditionnel. Ces plots qui scandent l’espace montent en périphérie jusqu’au niveau de la canopée en coussins gonflables ETFE. Tandis qu’ils restent inachevés au centre, offrant des terrasses suspendues qui attendent de se faveliser. Ils préservent pour un temps une grande ouverture d’espace sous le ciel de synthèse qui s’immisce dans les rues et couvre la place centrale. Un espace public rectangulaire, équipé d’un gril technique, qui sert à la fois de réfectoire, d’espace de travail informel ainsi que de scène pour différents types de manifestations et d’événements.
Les salles de cours magistraux ont été regroupées dans un amphithéâtre hémicirculaire semblable à ceux des villes coloniales grecques de l’Antiquité. Capable d’accueillir l’ensemble des étudiants, il vient s’inscrire le long de la diagonale qui se constitue comme l’intrusion du contexte territorial dans le bâtiment. Sous les gradins, les rayonnages de la bibliothèque poursuivent l’organisation en hémicycle – comme dans la salle de lecture du British Museum de Sydney Smirke – et permettent l’absorption du demi-cercle dans le carré.
Rien d’anecdotique : les volumes noirs et défensifs à l’extérieur blanchissent soudainement à l’intérieur pour mieux capter et réfléchir la lumière. Les bandeaux persistent et savent protéger les chemins de câbles et l’éclairage électrique ou devenir autonomes pour se transformer en mains courantes. Le bâtiment se donne comme une gigantesque infrastructure ou une machine. Ainsi la lourde porte de l’amphithéâtre descend-elle à l’aide de vérins, tandis qu’un système spectaculaire de cloisons mobiles divise efficacement la salle ou disparaît en plafond. Et partout, le mobilier dessiné ou choisi avec soin – tables rondes, rectangulaires ou cruciformes, fauteuils cubiques, réverbères reprenant la forme d’une lampe de bureau – montre, dans ses déplacements incessants, les lignes de flux nomades et les zones d’intensité éphémères engendrées par le plan, comme autant de limailles révélant les interactions invisibles des champs magnétiques.
Le mur
Mais l’émotion la plus intense, on ne peut l’avoir qu’au cœur du dispositif, au travers des deux fenêtres placées dans l’angle du bureau du directeur, dans le bloc de l’administration. Un point de vue qui semble plonger dans un champ de gratte-ciel dont la hauteur serait masquée par un plafond nuageux exagérément bas. Un appareil orthopédique permettant une vision augmentée de l’interaction de la grille urbaine, de l’oblique et de la place rectangulaire en l’associant à de nombreuses références architecturales et urbaines. Ici, pourquoi pas la trame manhattanienne, Broadway et Times square ? Comme si toute la construction n’avait pour but que de produire ce shoot hallucinatoire. Décors de cinéma, architecture in vitro, la logique de l’incubateur semble poussée ici à son paroxysme, rappelant la ville laboratoire conçue pour qu’un seul personnage puisse être, à son insu, porté à son épanouissement maximal, et imaginée par Peter Weir dans son film The Truman Show. Mais projet manifeste aussi, qui militerait en faveur d’un territoire privatisé où essaimeraient des espaces monadologiques comme celui-ci, hermétiquement fermés et trouvant en eux-mêmes leur propre extériorité. En faveur d’une ville composée d’enclaves – rappelant les paradis iraniens clos par de hauts murs de terre et ouvert sur leur propre luxuriance – qui pourraient dans un second temps communiquer entre elles, loin de l’idée de transparence généralisée. Pas besoin d’avoir lu Régis Debray pour comprendre que la frontière n’est pas incompatible avec l’idée d’ouverture et que, pour s’ouvrir à l’autre, il faut au moins déjà avoir conscience de sa propre identité.
Ce parti pris de fermeture aux accents dystopiques parvient parfaitement à s’imposer. Comme si, sur ce plateau de Saclay balayé par les vents, sur cette terre argileuse qui se refuse obstinément à absorber la moindre goutte d’eau, les seules constructions qui réussiraient à s’insérer seraient celles qui le feraient dans la violence. Francis Soler et son projet boulléen de masses cylindriques qui capte et réfléchit la lumière toujours changeante du ciel nuageux (voir d’a n° 253), Muoto et sa station-service géante qui révèle l’impressionnant réseau de voirie qui maille le site (voir d’a n° 251), OMA et sa caverne de Platon qui révèle le caractère profondément tellurique de cette terre stérile. Il n’en ira pas de même pour la seconde phase de l’opération et le projet de Gigon/Guyer, qui tente poliment de composer une façade urbaine, une initiative immédiatement balayée par cet espace sauvage et indompté.
Maître d’ouvrage : CentraleSupélec
Maîtres d’œuvre : OMA, Ellen van Loon, Édouard Pervès
Paysagiste : D’Ici LÃ
Ingénierie : Bollinger + Grohmann, ALTO Ingénierie, DHV
Consultants : APEX Brian Cody, DAL, dUCKS, Cuisine et Concept, Polygraphik
Surfaces : 48 700 m²
Coût : 117 millions d’euros HT
Calendrier : concours, 2012 ; livraison, 2017
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