Un environnement bien tempéré: Musée des Vins et académie de guitare, Patrimonio, Haute-Corse.

Architecte : Gilles Perraudin
Rédigé par Valéry DIDELON
Publié le 07/10/2011

En Haute-Corse, Gilles Perraudin vient de livrer le musée des Vins et l'académie de guitare de Patrimonio. Une nouvelle occasion de vérifier que l'architecture en pierre massive dont il s'est fait une spécialité possède autant de vertus esthétiques que techniques ou écologiques.



Depuis très longtemps, les hommes savent se protéger du froid en hiver. Ce qu'ils savent moins bien faire, c'est se garder de la chaleur estivale. La climatisation artificielle, dont l'histoire est finalement assez récente, incarne, à l'heure des inéluctables économies d'énergie, l'impasse dans laquelle se trouve une civilisation par trop machiniste. Les architectes sont en bonne position pour proposer des solutions innovantes ; pourtant, nombre d'entre eux se contentent d'appliquer sans imagination des réglementations qui servent encore et toujours les intérêts de l'industrie du bâtiment.

Gilles Perraudin est l'un des rares qui apportent au problème que pose la thermique d'été une réponse aussi originale qu'efficace. Plutôt que de s'en remettre à tel appareillage technique ou à tel isolant sophistiqué, l'architecte met en avant la conception bioclimatique et la construction en pierre massive. Il a ainsi montré à travers plusieurs projets qu'en travaillant avec des espaces tampons, en utilisant la ventilation manuelle et surtout en se servant de l'inertie de murs épais, il est possible d'habiter avec grand confort les régions les plus méridionales.

Sur le versant ouest du Cap corse, dans la Conca d'Oro, quelques cabanes en pierre sèche, les pagliaghji, témoignent de l'art ancestral de se protéger des grandes chaleurs estivales. Gilles Perraudin, connaisseur s'il en est de l'architecture vernaculaire, s'est inspiré de ces modestes constructions pour réaliser au cœur du village de Patrimonio un ensemble de dix pavillons de plan carré, tous légèrement différents. D'environ 10 mètres de côté, ils sont enchâssés dans un dédale de plates-formes empierrées qui s'étagent sur la pente du terrain. La relation harmonieuse entre espaces intérieurs et extérieurs rappelle celle qui prévaut au Centre de formation des apprentis de Nîmes-Marguerittes, dessiné par l'architecte il y a une dizaine d'années. Cette fois, ce ne sont pas les oliviers mais la collection de vignes méditerranéennes recouvrant les pergolas qui projettera bientôt ses ombres mouvantes sur les lourds murs de pierre. C'est sous le soleil de midi que l'on apprécie le mieux le microclimat qui règne ici. Les bassins installés le long des bâtiments libèrent par évaporation un air frais que captent vers l'intérieur de larges baies pivotantes. L'enceinte de calcaire – 60 centimètres d'épaisseur – de chaque pavillon restitue la fraîcheur qu'elle a emmagasinée durant la nuit. La masse des toitures végétalisées protège enfin d'un rayonnement solaire qui peut être redoutable ici. Au-dedans comme au-dehors, le visiteur s'attarde ainsi volontiers dans cet environnement bien tempéré.

Durable, cette architecture l'est par son mode constructif. Les soubassements en béton cyclopéen ont été réalisés en défaisant un mur de schiste présent sur le site. Dépourvus de tout isolant, les murs des pavillons ont été montés avec de gros blocs venus pour partie d'une carrière de Bonifacio et pour partie du Lubéron. Sur une trame répétitive serrée, la charpente est réalisée dans un bois local non traité. Il y a finalement peu de matériaux ici qui ne pourraient pas être récupérés et réutilisés à l'avenir.

Durable, cette architecture l'est aussi par sa capacité à accueillir de multiples usages. Si à chaque pavillon correspond aujourd'hui une fonction – dégustation, exposition, réunion, administration –, on imagine aisément d'autres affectations. Pour reprendre la distinction faite par Herman Hertzberger, les espaces ne sont ni flexibles, ni neutres, mais polyvalents*. Par leurs dimensions, leurs proportions – deux tiers d'espaces servis, un tiers d'espaces servants – et leur forme caractéristique, ils encouragent toutes sortes d'appropriations. En cela, comme les $pagliaghji$, les dix pavillons du Musée du vin et de l'académie de guitare s'inscrivent pour longtemps dans le paysage de la Conca d'Oro.

L'architecture que propose ici Gilles Perraudin inspire la sympathie, moins par la prodigalité de son dessin que par la puissance de sa matérialité : la pierre brute de sciage, le pin odorant de la charpente, le châtaignier massif des huisseries intérieures, etc. Comme dans la nature environnante, tous les sens sont sollicités et l'évidente photogénie dont font preuve le musée des Vins et l'académie de guitare de Patrimonio doit apparaître comme une simple invitation à une dégustation plus approfondie.


* Herman Hertzberger, « Fonctionnalité, flexibilité et polyvalence», in Leçons d'architecture, In Folio éditions, 2010.


Maîtres d'ouvrages : Commune de Patrimonio
Maîtres d'oeuvres :   Perraudin architectes 
Entreprises :   BET : économiste, GEC Rhône-Alpes ; structure, Anglade structure bois ; fluides, Setam ingénierie ; OPC, Graziani expertises.   
Surface SHON :   musée des Vins : accueil, vinothèque, espace terroir, bureaux et gustarium sur 500 m2 de Shon et 500 m2 de jardin ampélographique ; académie de guitare : accueil, parthothèque, salle de musique, bureaux et cafétéria sur 340 m2 de Shon et 190 m2 de jardin ampélographique. 
Cout :   1 million d'euros pour le musée et 750 000 euros pour l'académie 
Date de livraison : 2011

Gilles Perraudin Patrimonio<br/> Crédit photo : DEMAILLY Serge Plan masse © Gilles Perraudin Plan © Gilles Perraudin  Coupe © Gilles Perraudin<br/> Crédit photo : DR  Coupe © Gilles Perraudin intérieur<br/> Crédit photo : DEMAILLY Serge intérieur<br/> Crédit photo : DEMAILLY Serge exterieur en construction En construction

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