Aurora Altisent dessinant sur le toit de la Casa Milà (ou La Pedrera) de Antoni Gaudí, années 1970 |
Comment
un regard singulier peut-il transformer notre perception du monde ?
Réponse dans l’œil de l’artiste catalane Aurora Altisent, qui a consacré une
grande partie de sa carrière à dessiner Barcelone sur le motif, ses toits ou
ses boutiques, dans les années 1970. |
Le point de vue immobile embrassant
centre et vision périphérique des images d’Aurora Altisent évoque un globe oculaire, vu de l’intérieur.
La sensation est saisissante dans l’illustration du Palais
de la musique catalane, qui figure à la fois l’Œil
reflétant l’intérieur du théâtre de Besançon de Claude-Nicolas
Ledoux et la gravure sur bois Vue depuis l’œil gauche, publiée
en 1886 dans L’Analyse des sensations, du
physicien et philosophe autrichien Ernst Mach. Cette
estampe montre un point de vue à tendance surréaliste que Mach décrit
ainsi : « Depuis le cadre formé par la crête de mes cils, mon nez et
ma moustache apparaît une partie de mon corps aussi distante que possible, avec
son environnement […]. Si j’observe un
élément A dans mon champ de vision et que je cherche sa connexion avec un
autre élément B dans le même champ, je sors du domaine de la physique pour
entrer dans celui de la physiologie et de la psychologie, à condition que […] B
me traverse la peau. » Le sujet perméable aux sensations et la main
droite, tenant un crayon, exécutent
une boucle infinie – un lock groove1– entre regard et transcription
dessinée. On retrouve ce motif dans les dessins d’Álvaro Siza, qui représente
ses mains et ses pieds comme préalables à ce qui se manifeste devant lui.
Contournements
La ligne est la transcription symbolique d’un objet par l’esprit. Un débutant tracera intuitivement un sujet par ses contours, alors que ceux-ci n’existent pas dans la réalité. La formation de peintre d’Aurora Altisent aurait dû l’amener à procéder par surfaces ; elle force au contraire la dimension symbolique des lieux. Sa maîtrise technique lui permet d’épuiser les objets tout en ménageant des vides comme les respirations d’une partition musicale. Aucune ombre ou tentative de texture ne sont présentes, rappelant la ligne claire d’Hergé. L’épaisseur de trait unique symbolise peut-être le retour à la démocratie espagnole après la mort du Caudillo. En niant la perspective atmosphérique chère à (...)
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