Notre-Dame : le parvis de la concorde

Rédigé par Jean-François CABESTAN
Publié le 05/09/2022

Mission île de la cité

Article paru dans d'A n°301

Deux ans après la remise des résultats de la Mission Île de la Cité et les hypothèses de Dominique Perrault pour la reconfiguration de l’intégralité du site, le sinistre qu’a connu Notre-Dame, le 15 avril 2019, a sonné pour beaucoup l’heure de passer à l’action. Si la décision prise dès juillet 2020 à l’égard du monument pour une restauration à l’identique demeurera entachée d’une forme d’incapacité à insérer cette intervention dans une dynamique de notre temps, la question des abords a fini par attirer l’attention de la Ville. Le lauréat de la consultation lancée à l’automne 2021 sous la forme d’un dialogue compétitif entre les quatre équipes finalistes a été proclamé le 27 juin dernier. Il s’agit de l’équipe dirigée par le paysagiste Bas Smets. La Ville se dispose-t-elle sur l’aménagement des abords qui relèvent de sa responsabilité à se montrer moins passéiste que l’État, propriétaire du monument ?

 


Très vite, une remarquable convergence s’est dessinée dans la communauté scientifique en faveur d’un processus de densification des abords du monument – privé à l’époque haussmannienne de son réseau d’attaches avec le tissu de l’île éventrée, violemment transformée en une cité administrative –, jamais vraiment dessinés, et laissés à l’état de friche urbaine. Deux colloques organisés à l’INHA et réunissant historiens, architectes, spécialistes et connaisseurs des proches pays européens ont permis de figer ce consensus. Sans nécessairement recourir comme ailleurs au pastiche des reconstructions de l’après-guerre, le grand vide du parvis peu défini a paru devoir céder la place à un morceau de ville, propre à redonner son sens au monument orphelin, raffermir le caractère domestique de l’île désertée de ses habitants. Au dire d’un Jean-Michel Leniaud, ancien directeur de l’École des Chartes, grand spécialiste du patrimoine, ce lieu devait notamment accueillir un musée de l’œuvre de la cathédrale, construit de neuf le long de la Seine. Ancien ACMH chargé de la cathédrale, Benjamin Mouton préconisait quant à lui le rétablissement des îlots disparus (voir l’article « Le Parvis des petits besoins », publié dans le n° 291 de d’a, juillet-août 2021). 

Seules quelques voix discordantes – celles de l’architecte Christophe Amsler et de l’historien Nott Caviezel, tous deux suisses – se sont inscrites en faux, invitant le public à reconnaître la qualité de l’empreinte haussmannienne, et de partir de cette réalité. Les grandes perspectives et la mise en relation des monuments participent selon eux de la beauté de Paris : ce serait faire un pas en arrière que de la méconnaître. Membre de la Commission nationale des monuments historiques, l’historienne Sophie Descat a été l’une des rares participantes autochtones à vanter certaines des qualités du vide avant l’incendie. 

Les quatre propositions des finalistes présentent de très nombreux points communs, liés tant à la nature de la commande, aux modalités de la consultation ainsi qu’à la très faible marge de manœuvre dont ils disposaient. Il s’agissait en gros d’améliorer le sort des abords du monument tout en ménageant l’accueil des visiteurs dans l’une des cathédrales les plus visitées de la planète. Limitrophe de la crypte archéologique qui occupe la moitié nord du parvis, un ancien parking de deux étages cachés derrière le quai sud s’offrait à devenir l’antichambre du monument. Ces données s’accompagnaient de principes vertueux, tels que l’abandon de la voirie au-devant de l’Hôtel-Dieu, de la trémie d’accès au parking ainsi que de l’accès à la crypte archéologique. C’est sur le degré de végétalisation des sols, l’accessibilité relative des espaces plantés et sur l’allusion plus ou moins prononcée au monde souterrain que les projets se singularisent. Si les frondaisons des triples voire quadruples rangées d’arbres occultent invariablement la Préfecture de police et l’Hôtel-Dieu, l’organisation des masses vertes le cède plus ou moins ouvertement aux credo de la municipalité. Le façadisme à l’horizontale qui a mis autrefois en échec le projet de Rem Koolhaas au Forum des Halles a eu ainsi raison des trémies, douve et échancrement du quai, imaginés par les candidats écartés, propres à mettre en rapport les sous-sols et l’espace public à l’air libre. 

Pour couper court à tout ce qui fâche à Paris, la proposition lauréate n’en a pas moins le mérite de la clarté de ses intentions. La promenade plantée qui règne au sud s’étend comme chez Perrault tout au long de la portion de quai disponible et l’ancien square Jean-XXIII fusionne avec cette dernière en un continuum boisé. Généreusement éclairée côté Seine par de sobres mais nombreux percements, la galerie souterraine donne comme tous les projets concurrents accès à la crypte. Les trémies d’accès à cette dernière sont réduites au minimum, et les escaliers dont l’orientation est volontairement étrangère aux géométries anciennes du site découle d’une volonté d’instituer une promenade architecturale assortis de cadrages saisissants sur le monument. Inspiré d’un souci de resserrement d’un espace jusqu’ici trop dilaté, le parvis assume un caractère d’intériorité nouveau, fondé sur le recours à des typologies d’espace, de plantations et de mises en œuvre parisiennes. Puisse cette organisation mieux réussir lors de sa future mise en œuvre que l’intéressant projet méconnu et progressivement désossé d’Hermant et de Jouve (1969), dont résulte l’état des lieux qu’on connaît depuis cinquante ans, indigne de cet espace. D’une ambition cependant plus limitée encore à la besogneuse gestion du quotidien, il est à parier que celle-ci ne fera pas date.

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