Boîte noire / cube blanc, Centre de création contemporaine Olivier-Debré, Tours

Architecte : Aires Mateus
Rédigé par Richard SCOFFIER
Publié le 01/03/2017

La première œuvre réalisée sur le territoire français par Manuel et Francisco Aires Mateus est inaugurée en grande pompe en ce mois de mars. L’occasion de revenir sur cette construction atypique dont nous avons déjà parlé à l’occasion du concours et du parcours consacré aux deux frères (d’a n° 215 & 240). Il s’agit de la réhabilitation d’une école d’art en lieu d’exposition ouvert sur la création contemporaine, une prestation inaccoutumée pour ces deux architectes généralement abonnés aux constructions ex nihilo.

 

L’école d’art de Tours a été réalisée dans les années 1950 par Pierre Patout quand, à la fin de sa carrière, l’auteur de l’étonnant immeuble du boulevard Victor était architecte en chef de la reconstruction de la ville. À quelques centaines de mètres se dresse encore une autre de ses réalisations tourangelles, une insolite bibliothèque à la toiture pyramidale.

Cette école – qui a depuis émigré dans une imprimerie abandonnée, conçue par Bernard Zehrfuss – distillait un sentiment de malaise lié à sa constitution même. Elle se présentait comme un corps malformé composé d’un pavillon monumental – à la fois classique et art déco – dissymétriquement jumelé à une construction industrielle en béton préfabriqué. Comme si, dans un conte qui pourrait prendre place dans Les Mille et Une Nuits, un arrogant petit palais revêtu d’un élégant habillage de pierre blanche avait été puni par un malin génie et organiquement uni à un bâtiment utilitaire.

Cette construction siamoise, pourtant située entre la vielle ville et la cathédrale, au croisement de l’axe majeur de la cité et de la Loire, était condamnée en outre à disparaître dans une cour d’immeubles d’habitation sans qualité, comme ces aberrations de la nature qui flottent dans les bocaux de formol sur les étagères des muséums d’histoire naturelle.

Un concours a été organisé en 2012 pour imaginer la rédemption de cet édifice en le transformant en Centre de création contemporaine Olivier-Debré. Une salle est consacrée aux installations, une autre aux grands formats spécialement réalisés pour cette institution par ce peintre expressionniste abstrait qui possédait un atelier dans la région. La plupart des équipes en compétition n’avaient pas cherché à dissocier les deux composants antinomiques. Ainsi l’agence madrilène Nieto Sobejano Arquitectos proposait de cacher pudiquement les deux parties siamoises sous une vaste couverture. Berger & Berger rehaussaient la partie préfabriquée d’une élégante toiture à caissons évoquant le minimaliste de Sol Levitt pour réduire la fracture entre les deux ailes. Quant à Rudy Ricciotti, il accentuait, au contraire, l’opposition des deux structures en les invitant à persévérer chacune dans leur être propre pour porter à son paroxysme la monstruosité de leur accouplement. Tranchant d’un coup d’épée le nœud gordien, les lauréats proposèrent la destruction/reconstruction de l’aile industrielle afin d’obtenir deux volumes distincts enfin détachés l’un de l’autre.

 

STRATÉGIE

Le projet qui vient d’être livré apparaît maintenant comme la confrontation de deux édifices jumeaux : le bâtiment classique, réhabilité, et une construction nouvelle émergeant d’un socle cristallin qui fonctionne comme une vitrine des activités du Centre de création contemporaine. Le premier paraît solidement ancré dans le sol tandis que le second semble flotter dans sa base vitrée qui reprend partiellement l’emprise de l’aile détruite. Une impression de légèreté encore accentuée par l’effet de pixélisation produit par ces étranges fenêtres gémellaires, abstraitement associées en diagonale. Ce sentiment d’apesanteur est cependant pondéré par le lourd appareillage de pierre des parois. Un tour de force rendu possible par la prestidigitation d’une structure en métal placé en retrait qui supporte une dalle de reprise en porte-à-faux et monte en secret jusqu’en haut de l’édifice.

Un côté de la gangue protectrice de logements construite autour de l’ancienne école a récemment été démoli tout le long de la rue Nationale. Le pavillon art déco peut ainsi exprimer ses ambitions longtemps contenues et dialoguer enfin avec l’église Saint-Julien, et plus loin avec le clocher de la cathédrale. Débarrassé d’un plancher disgracieux qui venait obstruer ses hautes baies, il abrite maintenant une vaste nef. Un narthex où les passants pourront entrer librement et appréhender l’intervention éphémère d’un artiste. Per Barclay est ainsi attendu avec impatience pour y installer prochainement l’une de ses chambres d’huile.

La galerie d’accueil se glisse dans le socle vitré, entre les deux blocs. Ouverte au sud et au nord, elle distribue clairement les différents espaces. Au rez-de-chaussée, la nef et la boîte noire – un espace aveugle, destiné aux installations contemporaines qui préfèrent souvent irradier de leur propre lumière artificielle –, à l’étage, le cube blanc.

 

BOîTE NOIRE/CUBE BLANC

Manuel et Francisco Aires Mateus ont su mettre l’accent sur la partie du bâtiment où ils avaient la latitude suffisante pour développer leur écriture si particulière et gérer le reste avec un certain détachement. Ainsi la nef, vidée de ses entrailles et transformée en espace des possibles, aurait facilement pu être réhabilitée par Lacaton & Vassal. Quant à la boîte noire, n’importe quel architecte habile aurait fait l’affaire.

Il n’en va pas de même du cube blanc. Montons à la suite d’Alain Julien-Laferrière, le dynamique directeur de l’institution, dans cet espace qui n’est pas encore envahi par les toiles d’Olivier Debré promises pour « Un voyage en Norvège », l’exposition inaugurale. Le grand vide est entouré par une paroi épaisse dans laquelle se creusent sur deux niveaux de multiples cabinets destinés à présenter les petits formats, les gravures, les dessins et les livres. Il vient chercher l’essentiel de son éclairage naturel au moyen de puits creusés au-dessus de ces quatre coins. Un dispositif qui n’est pas sans rappeler celui utilisé par Louis Kahn pour l’église unitarienne de Rochester, un lieu de culte carré entouré par les classes d’une école et recouvert par un plafond cruciforme dessinant quatre ouvertures zénithales. Mais à Tours, la géométrie est déformée, comme sous l’action d’une force invisible et irrationnelle. Ainsi les percements sont de dimensions différentes : les plus grands créent des zones lumineuses qui semblent se dilater, tandis que les plus petits génèrent des zones sombres qui paraissent au contraire se contracter. Et contrairement à l’architecture de Kahn où les entrées se font par les côtés, elles viennent ici se découper dans les angles, garantissant une fluidité maximale de l’espace. En fonction de la porte que nous franchirons, la salle sera différente. Comme si nous étions plongés dans un espace magique et immanent totalement éloigné de la rigueur métaphysique et transcendante du maître de Philadelphie.



Maîtres d'ouvrages : Communauté d'agglomération Tour(s)Plus
Maîtres d'oeuvres mandataires : Aires Mateus e associados ; Architectes associés phase conception : B+B Architectes (Guy Bez et Eric Bourg) ; Architectes associés phase réalisation : AAVP 
BET général : BeA
Acoustique : INACOUSTICS
Conception lumière :
LIGHTEC
Entreprise clos et couvert : SOGEA centre
Surface SHON : 5 300 m2
Coût : 9 600 000 € HT
Date de livraison : Septembre 2016


Lisez la suite de cet article dans : N° 251 - Mars 2017

Le bâtiment réhabilité et sa lourde corniche est contesté par le volume profondément creusé de la nouvelle aile.<br/> Crédit photo : FOUGEIROL  Benoit Le bloc massif de pierre, profondément creusé de fenêtres, flotte sur une base immatérielle.<br/> Crédit photo : FOUGEIROL  Benoit La vitrine qui entoure la boîte noire attend les oeuvres qui permettront au centre d’art de mettre en scène ses activités.<br/> Crédit photo : FOUGEIROL  Benoit La vitrine qui entoure la boîte noire attend les oeuvres qui permettront au centre d’art de mettre en scène ses activités.<br/> Crédit photo : FOUGEIROL  Benoit La nef avec, à gauche, la nouvelle paroi servante.<br/> Crédit photo : FOUGEIROL  Benoit

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