Simple, c’est plus
Au printemps dernier, la revue allemande Arch+ et l’architecte André Kempe nous ont amicalement invités à écrire sur une certaine tendance de l’architecture française. Sur ces équipes dont la renommée a dépassé le cadre de nos frontières, que ce soit par des prix, des publications ou des invitations aux grands concours. Un succès que la France, selon nos confrères européens, n’avait pas connu depuis les années 1980, soit près de quarante ans ! Nous avons donc relevé le défi et décidé d’y consacrer entièrement ce numéro. L’exercice est périlleux car il pousse inévitablement à regrouper dans un même courant des architectes qui ne revendiquent aucune appartenance commune et à décrire un paysage hétérogène en pleine évolution. Il entraîne enfin, par la médiatisation que nous lui donnons, un effet de loupe sur une production qui reste très minoritaire ; disons-le, il nous contraint à commettre des généralités. Ce risque n’est-il pas cependant inhérent à une revue qui prétend porter un regard critique sur l’architecture en train de se faire ? Définir ce qui rassemble ces agences est une gageure car elles ne se regroupent pas autour d’un manifeste fondateur ou d’une figure tutélaire et se plaisent souvent à déjouer les principes qu’elles semblaient elles-mêmes s’être imposées. Elles aiment aussi s’associer à des architectes européens de leur génération avec lesquels elles partagent beaucoup de valeurs, compromettant d’autant toute tentative de circonscrire une scène nationale. Plutôt que de parler de ces agences, dont nous avons d’ailleurs pour la plupart fait le portrait ces dernières années, ce sont donc des attitudes, des pratiques, des références et des généalogies que nous nous sommes attachés à expliciter. Parce que leurs projets sont souvent constitués de plateaux libres portés par des grilles régulières de poteaux, parce qu’ils donnent moins d’importance à leurs façades qu’à la structure qui les trame, parce qu’ils privilégient les matériaux bruts et réduisent le second œuvre au minimum et parce que leurs vertus écologiques passent davantage par l’architecture que par les normes, ces architectes ont parfois été qualifiés de brutalistes ou de rationalistes. Ces qualificatifs peuvent nous aider à élaborer des généalogies mais ils réduisent un champ de pratiques qui se révèle beaucoup plus ouvert. On affirmera cependant que, tout en se démarquant du goût actuel pour une mythologie de l’archaïsme, ces architectes manifestent l’impérieux désir de revenir aux fondamentaux de l’acte de bâtir. Ils croient en cette idée séduisante que c’est dans l’art difficile de rendre les choses simples que peut advenir la poésie : simple, c’est plus. Emmanuel Caille