Je suis Molenbeek
Lorsque nous avons entrepris de réaliser un dossier sur l’architecture de la communauté de Wallonie-Bruxelles, nous n’imaginions pas que l’un des lieux où elle se déploie avec le plus d’acuité subirait en quelques jours l’opprobre international. Molenbeek-Saint-Jean, connue au XIXe siècle pour y accueillir des « agitateurs politiques » français, est désormais célèbre pour son importante communauté d’islamistes radicaux d’où sont partis quelques-uns des sinistres djihadistes du 13 novembre. Pour y avoir souvent déambulé dans notre quête d’architecture, on peut vous dire que cette commune bruxelloise, jouxtant à l’ouest le centre-ville, n’a rien de sordide. Avec ses rues aux vieilles maisons de ville en briques et ses petites places vivantes, elle n’a rien d’une caricaturale zone de relégation périurbaine. Sa population, immigrée ou victime du chômage de la désindustrialisation, est néanmoins l’une des plus pauvres de la région. Une situation qui a entraîné, par-delà les problèmes sociaux et la délinquance, une réelle détérioration du cadre urbain.
Ce n’est donc pas un hasard si les architectes, qui dans la communauté francophone sont très engagés dans la vie citoyenne, y sont présents avec leurs projets depuis plusieurs années. L’équipe de V+, dont vous proposons le portrait ce mois-ci, y a même installé son agence. Pierre Blondel y a construit des logements sociaux, un complexe sportif et un centre communautaire, le collectif L’Escaut, Gigogne et MSA y ont réalisé des logements ateliers pour artistes et transformé les brasseries Belle-Vue en centre de formation, hôtel et centre associatif, MDW a conçu des logements sociaux dans un ancien entrepôt de ferrailleur, A practice a réaménagé la place communale et Baukunst imaginé la place des Quatre-Vents. Comme le souligne très justement Richard Scoffier, cette architecture est moins centrée sur la notion de création ou d’œuvre que sur celle de service. À Molenbeek comme dans le reste de la Wallonie, elle relève d’une pratique professionnelle engagée dans les problématiques sociales qui trouve le meilleur d’elle-même dans les territoires où vivent les populations les moins favorisées. Une architecture que l’on comprend mieux en la racontant qu’en la montrant, ce qui ne nous a quand même pas empêchés de faire les deux pour vous la faire partager.
Emmanuel Caille